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15 novembre 2022

Egalité salariale : cette décision de justice contre BNP Paribas qui pourrait changer la donne

Publié par Michel MURAT (6)

 Une récente décision de la justice française contre la BNP Paribas pourrait bien résorber les écarts de salaires entre hommes et femmes dans la finance. Mais le chemin reste long dans cette industrie parmi les plus inégalitaires. Le 27 septembre, le tribunal de première instance a imposé à la première banque française de prendre en compte le salaire variable dans le calcul des écarts salariaux liés aux genre. L’action, qui opposait la banque au deuxième syndicat du groupe, la CFDT BNP Paribas, pourrait bien faire jurisprudence dans toute la finance.Tous les poids lourds du secteur - Crédit agricole, Natixis, BPCE, Société générale, Amundi, Axa… - calculent encore les écarts salariaux dans leur entreprise sur les bases du fixe simple. A la baisse, donc.


 

"Le variable, nerf de la guerre"

"C’est une plaisanterie, soupirait un élu syndical. Pour nous, en finance, le variable est le nerf de la guerre." La démarche ne manque pas de sel lorsque l’on connaît l’importance que revêt la négociation des variables au sommet de la pyramide: son attribution à 100%, selon des critères relativement peu contraignants, peut jusqu’à doubler le salaire initial des membres du comex. 

Jusque-là, les banques se refusaient à inclure les bonus dans ses calculs, ne prenant en compte que la rémunération fixe comme indicateur de référence pour étalonner les rémunérations de salariés aux responsabilités comparables. Leur argument: "le caractère discrétionnaire de la rémunération variable déterminée en fonction des résultats du groupe et des performances individuelles du salarié, laquelle varie donc chaque année et dont le versement n'est garanti ni dans son principe ni dans son quantum", lit-on dans la décision de justice. "La BNP soutient donc que l'intégration dans l'assiette de calcul permettant de déterminer les écarts de rémunération serait de nature à l’ériger au statut de droit acquis et, par conséquent, à lui faire perdre son caractère discrétionnaire, raison pour laquelle, la grille de classification contenue dans la convention collective de branche mentionne uniquement la rémunération fixe."

"Travail égal, salaire égal"

Mais la position du tribunal de première instance est claire. "Même si le montant de la rémunération variable peut être différent d’une année à l’autre et repose sur les résultats du salarié, force est de constater que le fait de faire dépendre son principe et son montant à la réalisation d’objectifs déterminés lui enlève son caractère discrétionnaire". Conclusion: "La rémunération effective doit correspondre à la rémunération effectivement perçue par la salariée, et ne saurait se réduire à la rémunération de base", lit-on dans le document. Et, plus largement, souligne le tribunal, "le principe d'égalité 'à travail égal, salaire égal' imposerait la prise en compte de la part discrétionnaire du salaire pour permettre une véritable comparaison de la rémunération effective des hommes et des femmes dans l'entreprise. BNP Paribas a jusqu'au 18 novembre pour faire appel.

La banque de la rue d'Antin n’en finit pas d’être ennuyée sur l’épineux sujet de l’égalité salariale. En janvier 2022, c’était une banquière de la City, Stacey Macken, qui remportait son procès en harcèlement et en inégalité salariale contre la banque. Au terme d’une bataille judiciaire qui a duré huit ans, la tradeuse a empoché deux millions de livres, établi un précédent pour la capitale britannique et provoqué chez BNP la commande d’un audit interne, intégrant -lui- les variables dans son calcul des inégalités salariales. "BNP Paribas prétend être la banque d’un monde qui change. Toutefois, de mon expérience, la banque resiste au changement, confie la banquière par mail à Challenges. Elle change de pratique pour faire croire qu’elle évolue seulement lorsque la justice la contraint de le faire."  La cour britannique avait déjà épinglé la banque française pour son étrange méthodologie. Sans conséquence.

"Un cas isolé"

A BNP Paribas, le sujet met mal à l’aise. On invoque "un cas isolé". On rappelle qu’en France, les négociations annuelles obligatoires ont abouti à une nouvelle enveloppe de 10 millions d’euros, répartie sur 2023 et 2024, pour renforcer la mixité, la promotion des femmes, et "la correction éventuelle des écarts injustifiés de rémunération." Mais les faits sont têtus derrière les précautions de langage. La finance est l’un des secteurs où les inégalités salariales entre les hommes et les femmes sont les plus importantes. Rien que dans l’industrie bancaire, les femmes gagnent en moyenne 32% de moins que les hommes, indique la Dares, pour une moyenne nationale de 23%. 

Au niveau des têtes de gondole, les figures dirigeantes de la finance - Jean-Laurent Bonnafé à BNP Paribas, Thomas Buberl à Axa, Philippe Brassac au Crédit agricole… - sont toutes des hommes. Les nominations en octobre de Slawomir Krupa et de Nicolas Namias à la tête de la Société générale et de BPCE n’échappent pas à la règle. Exceptions notables: les sociétés de gestion et d’investissement, avec Dominique Senequier (Ardian), Virginie Morgon (patronne d’Eurazeo), et Valérie Baudson (Amundi).

PME de la finance sous les radars

Certes, les mastodontes de l’industrie travaillent progressivement à corriger les inégalités: ils sont sous pression du fait de leur visibilité et soucieux de leur marque employeur dans un secteur qui peine à recruter. Ces actions portent leurs fruits au niveau des comités exécutifs. Une récente étude d’Ethics and Board montre qu’au sein du SBF120, les comex des entreprises de la finance sont féminisés à 33%, pour une moyenne globale de 25%. "C’est le secteur qui a le plus progressé et qui est aujourd’hui en tête de peloton, souligne Juliette Li, Senior International Executive de Ethics and Boards. En 2014, la finance était à 15,3% de femmes. C’est une amélioration de 116%." 

En revanche, dans les entreprises plus petites et moins exposées, comme les cabinets de gestion de patrimoine, les banques d’affaires boutique ou encore le courtage en assurance, les inégalités explosent. "De nombreuses PME et structures méconnues du grand public passent sous des radars" regrette Patrice Roussel, professeur de gestion à l’université Toulouse 1 Capitole et auteur de l’étude "Réduire les inégalités salariales entre les femmes et les hommes, une approche par secteur d’activité" sortie en 2021. L’écart salarial de genre de ces entreprises frise les 50% et elles établissent le triste record du plus gros écart de rémunération du secteur privé, note-t-il.

Et si les recruteurs attribuent d’un air contrit l’accroissement des inégalités salariales de genre à des parcours professionnels différents -avec, pour les femmes, une part plus importante du temps partiel, ou les départs en congé maternité- une étude de juin 2022 de la Conférence des grandes écoles met cet argument à mal. Elle prouve que les inégalités commencent dès le premier job, et particulièrement dans la banque et l’assurance. A diplôme égal, une jeune femme sortant d’écoles de commerce commencera à 42.000 euros brut annuel en moyenne, quand son camarade masculin démarrera à 47.000 euros.

Source: Esther Attias, Challenges

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