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Effet Brexit sur l'Aeronautique

12 février 2019 Divers
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Article USINE NOUVELLE

Si Airbus ne cesse de fustiger les conséquences néfastes du Brexit depuis près de trois ans, c’est qu’il est l'acteur de la filière aéronautique qui a le plus à perdre. 

Mardi 21 juin 2016, deux jours avant le référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne, leur crainte n’est encore que fictive. Ce jour-là, une trentaine d’industriels français publie dans une poignée de journaux anglais une publicité mettant en garde les Britanniques contre les conséquences d’un Brexit sur les liens économiques entre leur pays et le reste de l’Europe. 

Une initiative dans laquelle les acteurs aéronautiques figurent en bonne place, à l’image d’Airbus, Safran, Dassault, Thales, Eutelsat et Air France/KLM. Depuis, l’avionneur européen aura été sans conteste le plus constant et le plus audible dans sa dénonciation du Brexit, jusqu’à la vidéo mordante de Tom Enders, patron d’Airbus, publiée le 24 janvier dernier. "Le secteur aérospatial britannique est maintenant au bord du précipice", lâchait le dirigeant, invitant à ne pas écouter "les folies des Brexiters". 

Le Royaume-Uni, premier pays européen dans l'aérospatial 

Comment expliquer une telle mobilisation de la filière aéronautique française ? "Contrairement à une idée reçue, qui placerait la France et l’Allemagne en tête, le Royaume-Uni est le premier pays européen dans l’aérospatial en termes de chiffre d’affaires généré", assure Jérôme Bouchard, associé au sein du cabinet Oliver Wyman. L’industrie aérospatiale britannique génère un chiffre d’affaires de 38 milliards de livres (environ 43 milliards d’euros), se traduisant par des importations avec l’Europe à hauteur de 9 milliards de livres (10 milliards d’euros) et des exportations vers l’Europe atteignant 12 milliards de livres (13,5 milliards d’euros). En outre, la seule filière française représente 35 000 emplois sur le sol britannique, d’après le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas). 

"Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ne sait pas en quoi consistera ce Brexit alors que l’échéance de fin mars arrive", affirmait Eric Trappier, le président du Gifas début janvier. Parmi les plus exposés, les industriels du secteur aéronautique sont dans l’incertitude. Et parmi eux, Airbus est celui qui aurait le plus à perdre : l’industriel emploie au Royaume-Uni 14 000 salariés, via 25 sites, qui génèrent un chiffre d’affaires de 6 milliards de livres (près de 7 milliards d’euros). A titre de comparaison, Thales emploie 6 500 personnes et Safran 4 200 personnes, mais tous deux possèdent une empreinte industrielle moins importante. Surtout, l’avionneur assemble au Royaume-Uni l’ensemble des ailes de ses programmes civils sur le site de Broughton, éléments critiques qui regagnent ensuite les lignes d’assemblage final en France et en Allemagne. 

Une cellule de crise mise en place 

"Cela fait deux ans que nous nous préparons à l’hypothèse d’un no-deal, détaillait Dominique Izambert, de la division Defence & Space, en charge des questions douanières autour du Brexit. Des propos tenus lors 

d’une réunion d’information sur le Brexit organisée par la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Paris le 31 janvier dernier. Au sein d’Airbus, il y a une centaine de personnes qui s’occupent du Brexit. Pour gérer le jour J, on aura aussi une cellule de crise en place. Nous avons anticipé au maximum mais nous ne sommes pas à l’abri d’un problème au moment de la transition, comme une grève qui bloque tout, une pièce mal déclarée… Tous les jours on découvre des nouveaux problèmes." 

Les sources d’inquiétudes sont multiples pour l’avionneur. Un Brexit dur risquerait tout d’abord d’enrayer la très précise mécanique de la logistique, à flux tendue, permettant l’assemblage de quelque 1 600 ailes par an. D’autant que certains éléments peuvent effectuer plusieurs allers-retours entre l’île et le continent. 

Un réseau de 2 500 fournisseurs 

Airbus a constitué un stock supplémentaire d’un mois pour assurer cette production. "Nous avons aussi écrit à tous nos fournisseurs, y compris les sous-traitants pour leur demander de se préparer et de vérifier la préparation de leurs propres fournisseurs", a précisé Dominique Izambert. Nous avons ouvert en juillet des postes de déclarants en douanes. Nous avons aussi embauché des managers temporaires pendant 6-12 mois pour gérer les problèmes de transition." 

A moyen terme, de nouveaux droits de douane, ainsi qu’une hausse des coûts logistiques, pourrait tirer le coût de production des ailes vers le haut. D’autant que l’avionneur, via ses différentes activités hébergées au Royaume-Uni (aviation commerciale, mais aussi spatial et défense), traite avec un panel de plus de 2 500 fournisseurs… Une fluidité moindre qui devrait aussi toucher les salariés du groupe, alors qu’Airbus enregistre environ 80 000 voyages par an entre le Royaume-Uni et le reste de l’Europe. Demande de visas, mobilité plus difficile, besoin de réservation d’hôtels supplémentaire… Si le groupe ne révèle aucune prévision chiffrée, les dirigeants s’attendent à une compétitivité en berne. 

L'EASA cherche à éteindre l'incendie 

Au-delà de la production elle-même, les inquiétudes se portent sur la certification, qui touche cette industrie à tous les niveaux (pièces, maintenance, formation…). Mi-décembre 2018, au cours d’une rencontre organisée par l’Association des Journalistes Professionnels de l’Aéronautique et de l’Espace (AJPAE), le directeur général de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) assurait s’être préparé "au pire", autrement dit à un Brexit sans accord. "S’il n’y a pas d’accord, le Royaume-Uni sera considéré comme un pays tiers", affirmait le dirigeant. Résultat : alors que l’EASA délègue aux autorités compétentes du pays ce travail de certification, un Brexit impliquerait pour les entreprises britanniques souhaitant fournir une entreprise appartenant à l’Union européenne de devoir être directement certifiées par l’EASA. 

L’organisme européen a anticipé pour éviter un afflux de demandes le jour J, et avait déjà, mi-décembre, traité environ 200 dossiers sur les quelque 900 entreprises britanniques qui pourraient être concernées. "Le secteur aéronautique, spatial et défense estime que cela pourrait prendre de 5 à 10 ans pour construire une expertise et acquérir les ressources nécessaires au sein de la Civil Aviation Authority (CAA) pour remplacer l’EASA, et certains clients s’inquiètent que le délai s’étende à une génération". Et un bon connaisseur du secteur aéronautique de glisser : "Les producteurs britanniques vont devoir trouver des accords avec l’AESA, ce qui est loin d’être fait". 

La R&D et l'engineering en balance 

In fine, la menace brandie par Tom Enders de quitter le Royaume-Uni et de "rediriger des investissements futurs" ne doit pas être prise à la légère, qui plus est pour un groupe qui cherche à s'internationaliser à 

l'image des lignes d'assemblage final construites aux Etats-Unis et en Chine. Si le départ pur et simple de la production d’ailes semble difficile à mettre en oeuvre, la possibilité pour l’avionneur de produire les ailes de ses nouveaux programmes dans un autre pays est crédible. "Airbus pourrait très bien décider de produire les ailes de leur nouveau programme ailleurs, en Espagne par exemple où le groupe possède déjà un centre de compétences dédiés au composites et un savoir-faire pour la fabrication d’empennage", pronostique un expert du secteur. 

Si la production d’ailes concentre l’attention, les activités de R&D et d’engineering pourraient encore plus facilement être transférées vers d’autres pays européens si les divers fonds européens alloués n’étaient plus distribués au Royaume-Uni. Chaque année, Airbus dépense environ 320 millions de livres (364 millions d’euros) en R&D au Royaume-Uni. "Airbus pourrait flécher ces investissements stratégiques de R&D et d’engineering vers d’autres sites, confirme une source proche de l’avionneur. Cela pourrait même se traduire par un transfert de charge depuis Filton vers d’autres centres d’ingénierie d’Airbus, avec éventuellement un impact potentiel sur l’emploi local." 




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