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19 août 2021

Manque de transparence, trop coûteux: l'accompagnement des entreprises en difficulté à bout de souffle

INTERVIEW CHALLENGES - Dans une étude de l'Institut Thomas More, Sébastien Laye, chercheur associé, s'attaque aux tribunaux de commerce et aux administrateurs judiciaires, qui accompagnent les entreprises en difficulté. Les émoluments de ces derniers ne se justifient pas, selon lui.

 


Létude de l’Institut Thomas More ne fait que 42 pages. Mais elle contient pas moins de 45 propositions pour "une remise à plat" du système d’accompagnement des entreprises en difficulté. Protection des salariés, transparence des procédures, réforme des tribunaux de commerce, etc. : la feuille de route posée par Sébastien Laye, entrepreneur dans l’immobilier et chercheur-associé à ce think-tank marqué à droite, vise l’exhaustivité.

Car selon lui, si les entreprises parviennent à éviter le mur de faillites qui leur était promis, nombre de PME et ETI vont quand même traîner pendant des années des difficultés financières persistantes. Pour Sébastien Laye, qui a déjà produit, depuis le début de l’année, deux études (ici et ici) sur ces problématiques, il est donc indispensable de revoir de fond en comble le système. L’auteur, avance sur ce dossier sensible sans prendre de gants. Ou plus exactement en enfilant des gants de boxe. Il attaque ainsi le manque de transparence des professions qui entourent les entreprises en difficulté, en particulier les administrateurs judiciaires.

Challenges - Vous insistez longuement dans votre rapport sur la nécessité de mieux encadrer les avocats, administrateurs judiciaires et de tous les intervenants mobilisés autour des entreprises en difficulté. Le problème est-il si central?

Sébastien Laye - Oui, il faut davantage de transparence, notamment sur les coûts de ces acteurs. Il existe un triptyque avocat, administrateur judiciaire et banque d’affaires qui doit être encadré par les pouvoirs publics. Ces intervenants sont en nombre trop limités, ce sont toujours les mêmes sur les dossiers, en particulier les plus importants. Dans une profession d’administrateur judiciaire (AJ) de plus en plus concentrée, il existe même une forme de prime à l’échec : même lorsqu’un AJ n’a pas réussi à redresser une entreprise, il peut être de nouveau nommé par le tribunal de commerce, quelques années plus tard, si la même société replonge dans les difficultés. Et cela au prétexte que l’AJ connaît bien le dossier!

Je ne vais pas jusqu’à demander la suppression de la profession d’administrateur judiciaire – alors pourtant que son existence est une particularité française. Mais au moins cette profession devrait-elle être davantage encadrée, avec des rotations obligatoires sur les dossiers, comme pour les commissaires aux comptes. Il faut aussi une sorte de "loi Macron" sur les administrateurs judiciaires qui ouvrent le jeu, qui déverrouille la concurrence, comme cela a pu être le cas pour les notaires, afin de faire baisser les prix et d’accroître l’efficacité des procédures.

Déjà mis en cause dans un rapport demandé par le gouvernement sur ce sujet, le rapport Ricol, ces professionnels défendent leurs coûts d’intervention en mettant en avant la difficulté d’un travail très technique, qui doit en outre être réalisé dans l’urgence…

Il ne faut pas exagérer : le travail d’administrateur judiciaire consiste beaucoup à donner des coups de tampons et des imprimaturs. Les cabinets de ces professionnels, qui peuvent facturer un million d’euros d’honoraires pour un dossier important, ne sont pas en première ligne lors de restructuration de dettes, par exemple. Ce sont surtout les banques d’affaires qui sont à la manœuvre.

Et même dans ce cas ou les avocats et les banques d’affaires ont un lourd travail à réaliser, leurs émoluments doivent quand même être mis en rapport avec les problèmes sociaux rencontrés par l’entreprise. Lorsqu’il y a de la casse sociale, comme ce fut le cas pour le redressement judiciaire du groupe parapétrolier Bourbon, il est difficile de justifier des honoraires d’une dizaine de millions d’euros pour un cabinet d’avocats.

Vous proposez aussi une réforme en profondeur des tribunaux de commerce. Pourquoi ?

Les tribunaux de commerce travaillent sur la prévention des liquidations, avec les recherches de repreneurs, les tentatives d’accord avec les créanciers, etc. Et ces mêmes tribunaux ont aussi à charge de sanctionner les chefs d’entreprise, en cas de faute de gestion, par exemple. Ce double rôle prévention-sanction constitue un vrai frein pour une chef d’entreprise en difficulté : il n’ose pas passer à temps les portes du tribunal de commerce. Je pense donc qu’il faut retirer aux tribunaux de commerce la responsabilité des sanctions, afin qu’ils se concentrent sur la prévention des défaillances. Cela passerait notamment par la nomination d’un "référent premières difficultés", qui conseillerait de manière confidentielle les chefs d’entreprise.

Enfin, il faut accroître les moyens alloués à ces tribunaux et rémunérer de manière transparente les présidents de ces tribunaux. Leur action bénévole suppose qu’ils ont des activités par ailleurs – ce qui ouvre la voie à toutes les suppositions de conflit d’intérêts.

Cette refonte passe par des décisions législatives. N’arrivez-vous pas trop tard, alors que la campagne présidentielle va occuper l’agenda pour les prochains mois?

Au contraire. Ce sujet a des répercussions directes sur la vie de nos concitoyens : que l’on ne puisse prendre à temps, à bras-le-corps, les difficultés d’une TPE ou d’une PME, pour la sauver, a des effets directs sur l’emploi. Ce dossier peut donc constituer un vrai thème de campagne. Je ne vois pas comment un candidat pourrait éviter de travailler dessus. Quelle que soit la prochaine équipe au pouvoir, elle devra faire des choix afin que les entreprises en mauvaise santé ne deviennent pas un fardeau qui limite la croissance pendant des années, comme cela a pu être le cas après 2008. L’accompagnement des entreprises en difficulté est un enjeu majeur pour notre économie.

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