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20 janvier 2021

Tour du monde de Lavina : 9- Îles Salomon

 Îles Salomon : les débris de la bataille de Guadalcanal  (9 février 2019)

Les 992 îles Salomon constituent un état du Commonwealth qui vient de célébrer ses 40 ans d’indépendance. Au milieu du XVIème siècle, l’archipel fut découvert par le navigateur espagnol Álvaro de Mendaña, celui-là même qui avait été le premier à poser le pied aux îles Marquises. Il en prit possession au nom du roi d’Espagne. Il donna à l’île du débarquement le nom d’un village andalou au nord de Séville : Guadalcanal. Son histoire et celle de son épouse, Isabelle Barreto sont dignes d’un grand roman épique. Mes déboires à venir sont bien minimes comparés aux tribulations de ce couple d’aventuriers.


J’arrive à Honiara, la capitale, oublié par mon hôtelier dans cet aéroport modeste et vieillot, privé de téléphone, ma carte SIM n’est pas reconnue ici, Gordon le seul employé permanent de l’aérogare, vient à mon secours. Il occupe un bureau miteux mais c’est un salomonais en or, sa sympathie raccourcit le temps d’attente de la navette. Les dix kilomètres de route qui conduisent à la ville collectionnent une multitude de « trous », résultat d’un macadam fragile, agressé par des pluies diluviennes : ces monstrueux nids de poule, à franchir quasi à l’arrêt, génèrent un incroyable ballet automobile et de gros embouteillages. Et voici mon hôtel vieillot, sur les pentes d’un coteau abrupt, au décor douteux aussi kitsch que délabré. Certes on y trouve trois restaurants et un salon de massage mais… 93 marches à gravir pour rejoindre ma chambre… avec mon barda de 29 kilos. Monsieur Yang, 76 ans, en est le propriétaire, il m’offre pour évacuer les problèmes d’accueil trois massages : ça va me détendre… La population a le teint très foncé ici et le blanc que je suis est très vite repéré. Même les femmes s’intéressent de près à ma couleur de peau !

La pluie tombe sans répit et je peux difficilement m’organiser. Depuis ma chambre au bout de la 93ème marche, tantôt je vois, tantôt je ne vois plus le cargo là-bas dans la baie. Alors, comme les honiarais, je pars marcher sous la pluie… Je croise ainsi le peuple d’une autre manière, sous un parapluie pour les plus aisés, trempés jusqu’aux os pour les autres. Au marché central, on se protège comme on peut de la pluie. Je visite le musée sous la pluie, pas grand-chose à voir. Je m’abrite de temps à autre, certaines fois mon voisin curieux me demande mon nom, d’autres fois bonjour les odeurs. Et puis, je retrouve le grand sourire teinté de pourpre des masticateurs de Betelnut (noix d’arec), cette chique qui se consomme de l’Inde aux îles du Pacifique sud depuis 2000 ans. Les Salomonais sont, bien évidemment, addicts aux propriétés énergisantes du Betelnut ; ça me semble être le pendant de la feuille de coca des sud-américains.

Je suis curieux et aime savoir, mais goûter, c’est autre chose. Alors Alan me fait la démonstration. Il décortique le fruit pour extraire le noyau qu’il va mâcher, il rajoute une feuille de bétel et enrobe de poudre de chaux blanche (le « Lime » disent-ils). Il « enfourne » l’ensemble et mastique générant ainsi une chique qui colore la salive et les dents en rouge. Une vingtaine de minutes après il la recrache… d’où les bas-côtés de route tachés de rouge…

Trois journées consécutives de tempête, provoquées par le cyclone OMA qui se frotte à l’archipel ; celui-ci s’éloigne vers les Fidji et le Vanuatu et les pluies deviennent plus espacées. Ce semi-enfermement m’a permis de connaître Georges, le chef du restaurant « Club Havanah » de l’hôtel où je passe une grosse partie des journées pluvieuses. Ce français est originaire d'Argelès-Gazost et a fait l'école hôtelière à Tarbes. Ça nous rapproche, mais s'il n'y avait que ça ! Il a monté une carte française qui est à coup sûr la meilleure des milliers d'îles du Pacifique sud y compris la Nouvelle Calédonie, même s’il peine à se procurer les ingrédients de ses recettes. Voilà 25 ans qu'il se bat dans ces îles pour une cuisine raffinée et représentative de notre France. Ah, ce n’est pas Bocuse, mais ce baroudeur de la bonne table a tout autant de mérite. Bien intégré dans la vie locale, ses serveuses et son personnel de cuisine sont des salomonais fort sympathiques, comme tous ces îliens, ce qui est un plus pour apprécier la cuisine française. Bien évidemment, nous avons siroté régulièrement nos apéros, à la française, en échangeant nos anecdotes de routards : j’ai l’impression que le Ricard d’ici, de l’autre côté de la terre, est meilleur que celui de là-bas !

Le cyclone est le gros danger qui guette sur ces îles Salomon. Pourtant, en 1942, d’autres ont souhaité faire de la douceur de vivre de Guadalcanal, un brasier. D’un côté, l’empire nippon dont la soif expansionniste les avait conduits à envahir ces îles. De l’autre les américains qui ne souhaitaient pas se voir coupés de l’Australie et de la Nouvelle Zélande et voulaient réagir au camouflet de Pearl Harbour. Du coup, en six mois de combats, 45 000 morts, 1 500 avions détruits et 70 navires perdus ! La bataille de Guadalcanal, de cette île qui n’avait rien demandé à personne, a été un moment décisif de la seconde guerre mondiale et le prélude au pire : Hiroshima ! 12

J’ai voulu aller voir les « Utah Beach » et « Omaha Beach » de Guadalcanal : Ndoma Beach, Mbonege Beach, Red Beach… Elles sont aujourd’hui des lieux paisibles où les Honiarais se rendent les week-ends pour le traditionnel barbecue de poisson, la seule guerre qui vaille le coup, celle de la convivialité. Juste après la bataille de Guadalcanal, un habitant de ces plages, Fred Kona, a profité du crash d’un avion sur ses terres, pour démarrer un musée de la guerre. Il a amoncelé des tas de débris : bouts d’ailes, moteurs, armes, DCA, mâts… pour créer un cimetière au milieu des fleurs et des vols erratiques de papillons magnifiques. Son petit-fils, Thomas, assume totalement l’héritage du grand-père en conduisant les visiteurs du Vilu War Museum. Il m’accompagne dans ce fatras de débris en m’expliquant l’origine de chaque bout de ferraille, fragment d’arme ou carcasse guerrière.

Les 24 kilomètres de route pour venir jusqu’ici sont en très mauvais état surtout après le passage de la tempête. Finalement, mes accompagnants et moi avons été veinards : les cocotiers tombés sont évacués ; par contre lorsque l’un d’eux barre la route, il est d’usage de payer le tronçonneur pour pouvoir passer. J’ai un faible pour ce type de péage.

 

Comme j’aime ces contrées où l’intérêt touristique est inexistant mais où le sol est foulé par des hommes et des anecdotes qui appellent l’humilité !

Yves Lavina (4)

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