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16 septembre 2021

Emploi: les difficultés de recrutement freinent la relance de l'économie

 ENQUÊTE - Alors que les embauches sont reparties à la hausse, 44% des entreprises anticipent des difficultés pour pourvoir leurs offres de postes. L'emploi cadre n'est pas en reste. En cause, le Covid-19 qui a bouleversé les aspirations des salariés. 


Recherche candidats désespérément… Alors que les recrutements sont repartis à la hausse, 44 % des entreprises anticipent des difficultés selon l'étude annuelle sur les besoins de main d'œuvre publiée par Pôle emploi en mai dernier. L’emploi cadre n’est pas en reste : 76 % des recruteurs s'attendent à avoir du mal à trouver les compétences recherchées, mentionne le baromètre trimestriel publié par l'Apec en juillet. "La crise a même accentué le problème, souligne Adrien Scemama, country manager de Talent.com. Il y a moins de candidats en raison d'un faible turn-over."

La pandémie rebat les cartes

La raison : les aspirations des salariés ont évolué depuis la pandémie : "Avant, la politique RSE des entreprises, c'était un plus. Aujourd'hui, c'est un des premiers critères de choix des cadres", illustre Emmanuelle Capiez, DRH d'Assystem, qui recherche des spécialistes dans les domaines de la transition énergétique, notamment du nucléaire. Cette quête de sens bénéficie aussi à Engie, l'énergéticien en pleine transformation, qui a mis le cap sur les énergies renouvelables : "Nous recrutons des  profils ayant des compétences dans le solaire, l’éolien, l’hydraulique mais aussi des ingénieurs projet, recherche-développement, ou spécialistes de la modélisation informatique. Ce qui avec notre raison d'être, nous rend attractifs", se félicite Jean-Sébastien Blanc, directeur général adjoint en charge des ressources humaines du groupe énergétique.

Autre tendance de fond : l'aspiration à une meilleure qualité de vie a amplifié le départ des salariés et principalement des cadres de la région parisienne, aidés en cela par la généralisation du télétravail. "Un problème pour les entreprises qui cherchent à recruter dans cette région qui représente 20 % des emplois, note François Leverger, directeur général d'Hello Work. Sauf si elles acceptent d'élargir le champ de leurs prospects aux candidats en télétravail, quitte à accepter de négocier les frais induits par les déplacements hebdomadaires nécessaires pour maintenir l’esprit d’équipe." Cette envie de prendre le large reste toutefois plus forte chez les salariés expérimentés avec famille que chez les jeunes et les succès de Nantes ou Bordeaux ne doivent pas éclipser les difficultés de Cherbourg.

Tensions structurelles exacerbées

A ces effets directement liés à la pandémie, s'ajoutent les difficultés structurelles exacerbées depuis la pandémie pour faire se rencontrer les offres et les demandes de compétences. En témoignent les besoins de profils digitaux. "Les pénuries ne sont pas récentes mais elles se sont amplifiées car aujourd'hui tout le monde recherche des spécialistes du numérique", explique Jean-Charles Tarlier, directeur du développement et de la transformation RH chez Sopra Steria. Avec une mention spéciale pour les experts du cloud et de la cybersécurité. Résultats : l'ESN ne doit pas seulement subir la concurrence des cabinets de conseils et multinationales mais de tous les acteurs économiques, y compris des entreprises industrielles, en train d'automatiser les ateliers. "Les tensions sont d'autant plus fortes que les compétences demandées aux informaticiens et spécialistes des datas deviennent plus rapidement obsolètes que le temps nécessaire pour concevoir et suivre des cursus centrés sur ces technologies clés", ajoute François Leverger.

Même inquiétude dans le secteur de l'industrie. Alors que la crise sanitaire a montré l'urgence de relocaliser les activités en France ou Europe, impossible de trouver suffisamment de candidats pour relever le challenge. "La plupart des compétences sont parties avec la fermeture des usines, souligne Christophe Aufort, DG de l'Aforp, bras armé pour la formation professionnelle de l'UIMM en Ile-de-France. Et l'industrie souffre d'un vrai problème d'attractivité, nos métiers sont méconnus." Les emplois de cadres ne bénéficient pas d'un plus grand intérêt. "C'est toute la chaîne de la production mais aussi de la logistique avec les achats et la maintenance ou en amont les bureaux d'études qui ont du mal à attirer", observe Pierre Lamblin.

Les bons commerciaux manquent eux aussi à l'appel quand les métiers de la santé, pourtant plébiscités par l'opinion publique attendent toujours des bras. Sans parler des 100.000 salariés de l'hôtellerie-restauration lassés par les conditions de travail qui se sont reconvertis pendant les confinements. Résultats : à l'heure de la reprise, les entreprises n'arrivent pas à trouver suffisamment de candidats pour redémarrer leur activité…

Prise de risques

Dans ce contexte, si les entreprises polissent leur marque employeurs pour attirer des candidats, ces efforts, aussi indispensables soient-ils, risquent de ne pas être suffisants pour répondre à leur carnet de commandes. D'où l'obligation d'élargir leur vivier... et d'accepter de prendre des risques. "Les employeurs sont beaucoup trop exigeants, lâche Alexandre Tamagnaud, fondateur du Groupe Fed. Les expériences passées comptent encore plus que la capacité d'adaptation, même si cela commence à évoluer." Pour répondre à leurs besoins, les employeurs n'hésitent plus à recruter des candidats ne cochant pas toutes les cases quitte à les accompagner, une fois dans l'entreprise, pour palier leurs lacunes. Dans tous les secteurs d'activité, la formation est devenue un des leviers privilégiés. En amont, via le développement de l'apprentissage. De Veolia à Schneider Electric en passant par Engie, des CFA "maison" voient le jour pour faire découvrir leurs métiers aux plus jeunes et plus si affinité. Les centres de formation interne ont également le vent en poupe. "C'est très rare de trouver des profils en parfaite adéquation avec ce que nous recherchons", admet la DRH d'Assystem. Grâce à cette démarche, l'entreprise d'ingénierie a ainsi permis à des salariés en provenance du secteur automobile ou de l'aéronautique de rebondir dans ses bureaux d'études. Sopra-Steria travaille avec Pole emploi pour accueillir 150 candidats à la reconversion chaque année en moyenne.

"Les entreprises manquent aussi de réactivité avec des délais de recrutement beaucoup trop longs et qui ont tendance à s'allonger, note Sébastien Sanchez, directeur chez le chasseur de têtes Michael Page. Elles perdent ainsi de bons candidats qui ont reçu des réponses plus rapides." Message reçu 5 sur 5 par Engie qui a revu à la baisse le nombre d’entretiens de recrutements, compris entre deux et trois.

Ouvrir le champ des possibles

Les candidats ne sont pas non plus exempts de tout reproche…. "Certains se surévaluent ou ont des prétentions salariales au-dessus du marché", poursuit Alexandre Tamagnaud. Quelques-uns restent centrés sur le poste de leurs rêves au lieu de surfer sur l'opportunité d'acquérir une nouvelle expérience pour solidifier leur CV ou pour se réorienter. Car si des métiers sont en tension, d'autres sont saturés : moins de 10 candidats postulent en moyenne pour une annonce d'informaticien contre entre 30 et 50 pour un poste de responsable communication ou dans les RH. "Il y a déjà quelques années, 14 % des jeunes diplômés reprenaient rapidement leurs études en raison d'une mauvaise orientation, met en avant Pierre Lamblin. Un chiffre qui a explosé, selon nos consultants qui les reçoivent."

"Surtout les candidats n'ont pas toujours idée des compétences transférables dans d'autres secteurs, insiste François Leverger. En nous appuyant sur notre énorme base de données recensant les parcours professionnels des candidats que nous avons aidés à recruter, nous pouvons identifier le champ des possibles s'ouvrant aussi à eux." Et ça marche : ce travail d'analyse permet de pourvoir 50 % des postes proposés, assure cet intermédiaire du recrutement. "Les entreprises parient encore trop sur les compétences des candidats et ne s'intéressent pas suffisamment à leur potentiel", renchérit Adrien Scemama. "Nous réfléchissons d’ailleurs à modifier nos pratiques qui ne vont pas encore assez loin dans ce domaine", acquiesce Jean-Sébastien Blanc. Le DRH s'interroge ainsi sur la possibilité d'expérimenter dans l'Hexagone le modèle à l'œuvre dans les pays anglo-saxons et dans le nord de l'Europe où avoir obtenu un master en histoire n'est pas rédhibitoire pour occuper un poste dans le marketing. De quoi en finir durablement avec les difficultés d'ajustement entre les offres et les demandes d’emploi ?

Source: Challenges, Laurence Estival

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