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12 avril 2022

Entre l'autonomie des salariés et le contrôle de l'employeur : le délicat équilibre des forfait-jours

Publié par Jean-Claude VIGUIER (17) | Entreprises

 Le grand mérite du régime des forfait-jours, issu des lois Aubry, a été de concilier la croyance, juridiquement fausse mais tenace, selon laquelle les cadres n'ont pas droit aux heures supplémentaires et la « vraie vie », à savoir la difficulté pour de nombreux cadres à apprécier une durée du travail en heures.

Avec un forfait-jours, le salarié n'est plus rémunéré en fonction du nombre d'heures qu'il effectue mais sur la base d'un nombre de jours travaillés lui permettant de mener à bien la (les) mission(s) dont il est investi. Pour en bénéficier, la condition est celle de « l'autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps » (L 3121-58 C.Trav).

Ensuite la mise en ?uvre suppose la conclusion d'un accord collectif puis d'une convention individuelle.

Dès l'origine, certains n'avaient pas manqué de relever le paradoxe existant entre une loi réduisant le temps de travail à 35 heures par semaine et ce régime du forfait-jours qui revenait à pouvoir faire travailler un cadre 13 heures par jour, puisqu'il avait droit à 11h de repos? 


 Cette position pour extrême qu'elle fut, n'était pas si infondée, puisque depuis plus de 10 ans, le législateur et la jurisprudence n'ont eu de cesse de placer la prévention et plus généralement le droit à la sécurité et à la santé du salarié au centre des préoccupations et donc de renforcer les garanties qui doivent entourer le forfait-jours (voir notamment la loi Travail 8 août 2016 avec la notion d'une charge de travail « raisonnable »).

Dans ce contexte, les entreprises doivent être attentives à 3 points en particulier.

Entre l'autonomie des salariés et le contrôle de l'employeur : le délicat équilibre des forfait-jours

 

1/ Savoir « encadrer » l'autonomie

Contrairement à un indépendant, un salarié n'est autonome que « dans l'organisation de son emploi du temps », pour le reste il est soumis aux instructions de l'employeur. « Il est et demeure par ailleurs un salarié subordonné à son employeur tenu par un certain nombre de contraintes (la présence à une réunion par exemple) » (Bernard Gauriau, La Semaine Juridique Social n°3, 25 janvier 2022). L'employeur doit donc impérativement fixer un cadre à ses salariés même les plus autonomes (« feuilles de route », « objectifs », « responsabilités », « tâches & missions », ?) pour justement être en mesure d'apprécier le caractère raisonnable ou non de la charge de travail et de la durée du travail.

2/ Disposer d'un décompte fiable des temps travaillés

Pour répondre à l'exigence de « durées raisonnables de travail » (Soc 5 Oct.2017 n°16-23.106) et donc pour satisfaire à l'impérieuse obligation de protection de la santé, l'employeur doit vérifier que les salariés en forfait-jours bénéficient (i) de leur temps de repos quotidien (11h) et hebdomadaire (35h) mais aussi (ii) d'une amplitude de journées de travail qui demeure raisonnable.

3/ Être en mesure de remédier rapidement à des situations à risques c'est à dire « non raisonnables »

Le suivi doit permettre à « l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable » (Soc 13 Oct. 2021). C'est à la hiérarchie de procéder à la vérification des temps de travail, sans en laisser ni l'initiative, ni la responsabilité aux seuls salariés concernés [Insuffisance d'un système exclusif d'auto-déclaration (Soc 10/03/2021), insuffisance d'un mécanisme correcteur sur la seule alerte du salarié (Soc 21/10/2020 ), importance d'entretiens réguliers (Soc 30/09/2020)]. Un très récent arrêt de la Cour de Cassation (Soc 15/12/2021) rend exactement compte des enjeux pour les entreprises.

Le risque de lourdes conséquences financières

S'il est établi que l'employeur a fait preuve de négligences en ne respectant pas l'accord collectif contenant les mesures destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait-jours, la convention individuelle de forfait-jours est frappée « d'inefficacité ». En ne procédant à aucun contrôle, ni suivi (pas de décompte des temps, pas d'entretiens, pas de bilan, absence de réponse aux alertes, etc.), le décompte en heures du temps de travail redevient la règle avec pour conséquence une condamnation à des heures supplémentaires.

Mais une possibilité pour l'employeur de « se racheter » pour l'avenir

Si sur une période passée, l'employeur a manqué à ses obligations de contrôle, mais qu'à un moment il se reprend, et respecte les modalités mises en place dans l'accord collectif, la convention individuelle redevient alors immédiatement efficace. Outil de gestion RH qui a fait ses preuves en termes de flexibilité et d'adaptation aux nouvelles façons de travailler (depuis longtemps « un horaire collectif + un lieu unique de travail » ne sont plus la règle unique), le forfait-jours ne doit pas faire oublier aux employeurs un principe qui reste à la base du droit du travail : même quelque peu distendu, le lien de subordination, clé de voute d'une organisation hiérarchique, a pour contrepartie la recherche constante de la responsabilité de l'employeur en cas de dysfonctionnement, singulièrement quand il est question de santé et de sécurité.

(Crédit photo : iStock)

ARTICLE ÉCRIT PAR Pierre-Jacques Castanet

Auteur

Jean-Claude VIGUIER (17)

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Commentaires

1 Commentaire

Patrice BREQUE (TARBES 14)
Il y a 1 an
J'ai souvenir d'un employeur qui avait calculé le temps de travail hebdomadaire en partant de 7 journées de 24 h moins le temps de repos obligatoire, soit 1j/sem et 11h/j, ce qui amène à 78 heures.
Petit rappel : si on a pris l'habitude ce compter en jours ouvrés, du lundi ou vendredi, la loi est basée sur les jours ouvrables, donc samedi inclus. D'où l'importance des accords qui fixent les limites en heures ou en jours pour éviter les dérapages. Votre employeur est donc en droit de vous imposer de travailler 6 j/sem sur les coups de bourre pour peu que ce soit compensé afin de rester dans l'épure des accords.

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